Homélie de la messe de sépulture du père Bernard Quintard

Y a-t-il quelque part une nouvelle qui soit bonne ? Qui rejoigne chacun dans la simplicité et la vérité de sa vie ? Qui soit réellement adressée à tous ?
Y a-t-il quelqu’un qui soit porteur d’une telle nouvelle ?
Y aurait-il quelque part un tel horizon qui puisse appeler, élargir notre cœur et notre regard, épanouir notre existence ?
Ces questions, cette attente, cette recherche ont habité le cœur de Bernard et ont travaillé sa quête, son cœur d’homme, de croyant et de prêtre.
Elles l’ont mis en route… et lui ont permis ou donné de vivre la rencontre du Christ, car ces questions trouvaient un écho puissant dans l’Evangile, la vie donnée de Jésus, sa passion des hommes et sa passion pour son Père. Elles l’ont amené à le servir en se mettant au service des frères qui lui étaient donnés et vers lesquels il était envoyé.
Nous savons cette phrase précieuse de l’Ev. selon St Marc(3,1), précieuse pour tous ceux qui s’attachent à être disciples :’ Il monte dans la montagne et il appelle ceux qu’il voulait. Ils vinrent à lui et il en établit douze pour être avec lui et les envoyer prêcher avec le pouvoir de chasser les démons.’
C’est une Mission largement déployée que Bd a vécue parmi nous.
Avec et auprès des siens d’abord. Il n’a pas pu ne pas recevoir d’eux le sens de la famille, des liens, de l’amour reçu et donné, de la proximité… et en prime, la liberté. Bernard était ’Libre - autonome - attaché’ disait son frère Gaby. C’est auprès de vous, auprès des siens que cela lui a été donné ; C’est également pris parmi les siens, sur la place de St Félix de Lunel qu’il recevra l’ordination sacerdotale pour être envoyé annoncer cette Bonne Nouvelle et servir la liberté des personnes.
Il n’a pas depuis compté son temps ni limité ses grandes capacités pour servir, dans le diocèse, en Espagne à Barcelone, à Toulouse, en Argentine…
En tous ces lieux il a vécu, il a créé des liens, servi des relations.
Le Dieu dont il témoignait est un Être de relation.
En retour, il en a reçu une vision large du monde, des personnes, des manières de vivre, des cultures… Reçu également une attention particulière aux plus pauvres, à ceux qui risquent toujours, d’une manière ou d’une autre d’être exclus du partage.
Cela lui donnait certainement cette capacité à être à l’aise partout… avec une grande présence, et également cette faculté de se retirer discrètement, sans manifestation superflue.
C’est un peu de cette manière qu’il nous quitte… mais trop tôt.
C’est au moins pour toutes ces raisons que nous sommes saisis les uns et les autres par son départ.
A cause de sa brutalité bien sûr, mais bien plus que cela, parce Bernard était lié et favorisait la relation avec beaucoup. C’est ainsi qu’il servait l’Eglise, corps du Christ, soutenant le lien entre ses membres.
Rentré dans le diocèse en 2005, après 10 années vécues au service de l’Eglise d’Argentine, il a poursuivi des missions larges.
Il m’a accueilli en 2011 et je l’ai renouvelé dans la mission de vicaire général pour vivre ces premières années si déterminantes. Il a non seulement été de ceux qui m’ont appris le diocèse, mais il a été un soutien infiniment précieux pour entrer dans la charge d’évêque dont j’avais à découvrir toute l’amplitude. Toute mission ne se vit bien qu’avec un frère envoyé lui aussi.
Après le synode dont il a été une des chevilles ouvrières, Il a rejoint le doyenné de Millau, il y a 3 ans, pour servir, si possible en fraternité, comme prêtre, avec Manoj, Bernard K et Pierre G les communautés croyantes de ce territoire, mais aussi plus largement les hommes et les femmes qui vivent et peinent sur cette terre.
Cette dernière période n’a pas été toute simple pour lui. Des soucis de santé l’ont impacté, mais je l’ai perçu surtout marqué par tout ce qui pouvait faire obstacle au respect, à la communion, à l’écoute et à l’estime réciproque. Obstacle donc à la relation.
Ses derniers messages ou ses homélies… au temps du confinement, interrogent beaucoup sur la conversion, celle que nous avons à vivre ensemble dans la société comme dans l’Eglise, celle de chacun, sa propre conversion.
Cela le travaillait certainement dans son service des communautés mais également aussi personnellement.
Son départ fait résonner toutes ces paroles avec d’autant plus de force.
Quel chemin restait à parcourir pour se convertir toujours plus en vérité au vrai visage de Jésus-Christ ?
Est-ce que le temps qui passe fait de moi une meilleure personne ?
Est-ce le service de l’unité, la recherche de communion, le sens de la mesure qui prévalent dans ma vie, et surtout la recherche du bien de tout le corps dont je ne suis qu’un membre ?
Ma vision des événements accepte-t-elle de se laisser traverser et enrichir par la pluralité des approches et la complexité…
L’Evangile est là, ouvert, offert, et sollicitant notre collaboration.
Il nous reste tant à approfondir, tant de résistances à vaincre, sans doute aussi tant de conversions à vivre. Mais toute conversion requiert des renoncements, sauf à rester dans l’idéalisme et l’émotionnel. Et ces renoncements, nous aurons vraisemblablement à nous aider à les nommer et à les porter, les uns les autres.
N’oublions pas ce que nous avons en commun et qui nous unira toujours : notre relation à Jésus-Christ !
On n’accueille jamais l’évangile « en général », mais toujours dans les situations concrètes où Dieu vient nous rejoindre.
Essayons d’accepter que Dieu a quelque chose à nous dire, à travers cet « évènement massif », et demandons-lui la grâce d’apprendre à toujours mieux discerner ce que nous avons à vivre et comment le vivre.
Si nous entrons dans cette démarche, nous ne perdrons jamais l’espérance.
Et nos gestes de solidarité qui peuvent trouver de nombreuses expressions, en cette période, trouveront tout leur sens.
Nous avons accueilli cette vision de l’Apocalypse… un ciel nouveau… une terre nouvelle… Vision d’un Dieu qui demeure avec les hommes venant supprimer tous pleurs, tous cris, toutes tristesses… Cette vision n’est pas un rêve. Elle est un don. Nous savons que notre responsabilité est de l’accueillir et de lui donner visage comme Église au sein de laquelle les liens et la communion sont plus forts que toutes les blessures.
Nous avons entendu l’Evangile. St Luc nous parle de cette étape déterminante où Jésus, "durcissant" sa face prend résolument la route qui mène à Jérusalem.
Un chemin où il refuse à s’imposer par la force ou la violence.
Un chemin où il invite à le suivre libre de toute fausse sécurité, et de toute attache qui pourrait devenir entrave.
Ce chemin de l’accueil d’une Nouvelle qui soit bonne, et réellement adressée à tous.
Ce chemin, Bernard l’a emprunté à la suite de son Maître, témoignant de cette liberté toujours à gagner pour le suivre. Il nous invite aujourd’hui à le poursuivre, avec la confiance qui nous est demandée, avec la communion à vivre, avec le courage pour continuer et trouver des manières nouvelle d’être disciples et missionnaires. Et cela se vivra si nous restons accueillants et témoins de cette Nouvelle Bonne pour tous…
Je laisse la parole à Bernard avec ces lignes qui marquent une étape dans son engagement.
Elles ont dix-neuf ans.
B. Quintard Ville de la Rioja (Paroisse Cathédrale)
République d’Argentine19/07/2001
En ce jour du 19/07/2001, à la Rioja, capitale de la Province qui porte le même nom, après avoir été dans le silence du Temple Notre Dame du Clocher, puis dans la moins silencieuse église Cathédrale, et toujours sous le regard miséricordieux de Notre Seigneur Jésus-Christ, je souhaite renouveler mon engagement sacerdotal.
Après ces 22 années(41 aujourd’hui)de vie sacerdotale, humaine, jonchée d’obstacles, de doutes, de coups reçus (quelques-uns rendus), d’opportunités d’approfondir la vie chrétienne, de vivre libre pour Dieu, pour les hommes, avec toutes ses conséquences, quelques douleurs profondes, avec l’espérance intacte que le projet de Dieu ne peut pas ne pas se réaliser - pour cela sa miséricorde manifestée en Jésus Christ -, aujourd’hui, je veux dire à nouveau, à l’heure où est célébrée une messe dans la cathédrale voisine : « Me voici ! » pour ce qu’il conviendra, pour toi, pour moi, pour suivre ta volonté.
Bénis Seigneur toutes les personnes que j’ai rencontrées durant ces 22 ans. Spécialement celles que j’ai pu mal servir.
La Rioja, 19 juillet 2001. Bernard Quintard
Bernard éprouve aujourd’hui la vérité de cet engagement.
Que le Seigneur achève en lui ce qu’il a commencé.
+ François Fonlupt