Pierre vient d’oser la déclaration la plus extraordinaire que l’on pouvait imaginer à l’époque : « Tu es le Messie. » Et on est surpris de la réaction de Jésus ; il ne refuse pas le titre, mais aussitôt il donne une stricte consigne de silence. …Il est trop tôt pour dire à tous que Jésus est le Messie, parce que ce titre est trop ambigu. Car Jésus est bien le Messie qu’on attend, mais pas du tout comme on l’attend ! C’est ce qu’il va essayer de faire comprendre à ses disciples : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les chefs des prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite. »
Pour des oreilles juives, ce discours était complètement paradoxal : au moment même où Jésus revendiquait le titre de Messie (Fils de l’homme était un synonyme), il prévoyait l’échec, la souffrance, la mort. Quelques mots d’abord sur ce titre de « Fils de l’homme » : cette expression sort tout droit du livre de Daniel, au chapitre 7 : « Je regardais dans les visions de la nuit, et voici que sur les nuées du ciel venait comme un Fils d’homme ; …. Et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté : les gens de tous peuples, nations et langues le servaient. Sa souveraineté est une souveraineté éternelle qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera jamais détruite. » (Dn 7,13-14). … Daniel précise que ce Fils d’homme n’est pas un individu solitaire, mais un peuple : « Les Saints du Très-Haut recevront la royauté, et ils posséderont la royauté pour toujours et à tout jamais... sa royauté est une royauté éternelle ; toutes les souverainetés le serviront et lui obéiront. » (Dn 7,18.27). Quand Jésus s’applique à lui-même ce titre de Fils de l’homme, il se présente donc comme celui qui prend la tête du peuple de Dieu. Il est bien le Messie qui vient établir le règne de Dieu sur la terre.
Pas question de souffrance dans tout cela ! Quelle idée ! Pierre a raison de s’insurger. Comme beaucoup de ses contemporains, il attendait un Messie-roi, triomphant, glorieux, puissant, et chassant une bonne fois du pays l’occupant romain. Alors ce qu’annonce Jésus est inacceptable… ! On pourrait presque intituler ce texte : « Le premier reniement de Pierre », premier refus de suivre le Messie dans la souffrance. Jésus affronte ce refus spontané de Pierre comme une véritable tentation pour lui-même et il le lui dit avec véhémence : « Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »